dimanche 17 janvier 2010

Sur les travaux pratiques encadrés


Lettre publié en éditorial de l'Université Syndicaliste du SNES de novembre 2001


M CHA Francis
Lycée Jules Supervielle
64400 Oloron


au

Courrier des lecteurs

Professeur depuis trente ans, ma vie professionnelle aura connu deux périodes : celle d’avant les TPE , celle d’après.

Avant, mes élèves ne faisaient pas de travaux (il n’y avait que moi qui travaillait), rien chez eux n’étaient personnels et je ne les encadrais pas .

‘Ils n’élargissaient pas leur curiosité intellectuelle dans une situation d’apprentissage actif. Ils ne se confrontaient pas à l’erreur et ne la surmontaient pas ; ils n’acquéraient pas des méthodes de travail et ne développaient pas de nouvelles capacités et compétences’[1].

Formé , contrôlé , évalué par l’institution je suis resté dans l’erreur tout ce temps.
Figé sur mes acquis universitaires, trop souvent magistral , j’empêchais toute expression libre de mes élèves .

Depuis, j’ai pratiqué les TPE .
Certes , par moment , j’ai eu l’impression de perdre du temps à détruire les stupidités trouvées sur le ‘net’, mais, comme je lis plus vite que mes élèves et que j’ai lu plus de livres (vous pensez en trente ans !), j’ai pu les informer en confrontant diverses opinions sur des sujets divers et passionnants .

"Nous avons , pour finir, collé divers objets sur des maquettes et joliment recopié des citations d’auteurs."

Comme je ne mets pas de notes , tous les problèmes liés à l’exercice de mon pouvoir ont été supprimés.
Dégagé des contraintes nées des évaluations chiffrées , voilà que l’élève passif , en perdition sur tous les plans, s’est transformé en ‘apprenant’ , autonome , discipliné et dynamique .
Malheureusement , ces effets ne se produisent que deux heures par semaine .
A quand la généralisation des TPE pour faire bouger les profs ? Faire bouger les profs , voilà ce qui est aujourd’hui le plus important. …. Vers quoi, au fait ?
Le syndicat auquel j’appartiens sans interruption depuis trente ans pourrait-il poser à ses adhérents une question simple : êtes-vous pour la poursuite de l’expérience des TPE l’an prochain ?



1 Les guillemets citent le document ministériel sur les TP
Quelle position du SNES sur les TPE ?


Les TPE sont présentés par le ministère comme une des clés essentielles pour changer l’enseignement . La section du Lycée Supervielle et collège Tristan Derême propose à la réflexion des syndiqués ce texte afin d’interroger les militants du SNES sur la position à prendre quant à l’avenir des TPE .

L’induction

Les TPE laissent croire que la connaissance scientifique se construit par accumulation de faits (ou pire d’informations). Or, celle ci est une construction hésitante marquée par des conflits sur une longue période historique. L’aboutissement de ce processus sont les savoirs universitaires, validés par la communauté scientifique, savoirs qui sont transformés en savoirs scolaires par des cheminements didactiques .
Faire croire que les TPE sont une démarche d’apprentissage de la démarche scientifique est une escroquerie épistémologique .

L’interdisciplinarité

Le TPE serait le seul lieu de son expression dans l’éducation . . C’est oublier qu’ au niveau des savoirs enseignés , l’interdisciplinarité existe déjà : les professeurs d’histoire-géographie ne croisent-ils pas l’histoire , la géographie, la démographie, l’économie , la géologie ?
L’interdisciplinarité, est-ce le fait de faire travailler ensemble des professeurs de disciplines différentes ? Faire croire que l'on est dans l’interdisciplinarité, parce que le professeur de mathématiques a expliqué comment on calcule un taux de croissance dans un TPE avec un professeur d’histoire, est une douce illusion .
N ‘oublions pas enfin que l’interdisciplinarité au niveau le plus élevé est un concept quelque peu flou . Cela n’est souvent que la juxtaposition de recherches avancées dans différents domaines, sans intégration réelle des différents apports.


L’animation

Le professeur, selon la nouvelle vulgate, se doit d’être un médiateur . L’élève, devant son ordinateur, peut l’appeler afin d’être guidé dans sa recherche d’informations .Malheureusement, sollicité par de multiples demandes, appelé à remettre en cause les documentations les plus stupides (pour ne pas dire plus) trouvé sur le NET , le professeur ne peut que répondre superficiellement à ces demandes .Cela l’amène à pratiquer ce qui lui est en fin de compte demandé : ‘surfer’ sur des sujets les plus divers.

La présentation

Les défenseurs des TPE nous disent que l’objectif n’est pas dans le contenu, il est dans la présentation . Présenter agréablement un sujet, mal maîtrisé , issu d’informations plus ou moins incomplète revient à créer des clones des animateurs de télévision . . Voilà l’idéal auquel il faut préparer nos élèves : le présentateur de télé , sympa , brillant et ouvert !


Un levier pour quel changement ?

‘L’enjeu de cette réforme est donc d’accélérer l’évolution du système éducatif , en transformant les nouvelles démarches introduites par quelques uns en un changement partagé’. Ne faut-il pas ‘acculturer’ les enseignants (‘le temps nécessaire d’acculturation’ , avant propos de la brochure ministérielle) , comme on acculturait le sauvage ? Le rappel des échecs précédents de cette stratégie (depuis les 10% dans les années 70 ) n’interroge-t-il pas nos réformateurs ?. Comment peut-on penser que l’enseignant obstinément magistral , figé 16 H par semaine dans ses habitudes , va trouver son chemin de Damas dans ses deux heures de TPE ? Quant à celui qui applique les principes de travail des TPE , ne le faisait-il pas déjà dans son cours ?

Le bilan totalement positif.

‘Les bilans académiques de l’année 200-2001 montrent l’intérêt de cette réforme et des nouvelles pratiques qu’elle favorise’. Le seul problème est de savoir comment ces bilans sont faits ? On imagine en effet, que les enseignants critiques n’oseront pas exprimer leur doutes , leurs interrogations , leurs critiques face à la machine institutionnelle qui a décidé ,a priori, que les TPE étaient nécessairement une réussite et qui collectionne donc tous les éléments pour s ‘en auto-persuader .

L’espace de liberté .

Cet espace de liberté n’est-il pas en même temps accompagné de programmes disciplinaires de plus en plus prescriptifs , sans la moindre allusion à des démarches actives dans les instructions? En somme , ce pseudo espace de liberté ne permet-il pas de réduire notre liberté pédagogique dans notre pratique disciplinaire ? Il faut donner de plus en plus d’autonomie au lycéen dans ses apprentissages mais de moins en moins à l’enseignant dans son travail ! L’ école doit être ‘rousseauiste’ avec le lycéen et ‘taylorienne’ avec l’enseignant .

Les bons TPE et les mauvais .

Une partie des militants du SNES critique l’absence de moyens mis en œuvre pour les TPE. Il y aurait, en somme, de bons TPE (avec des moyens) et les mauvais (ceux imposés avec des moyens insuffisants). Si les TPE coûtaient chers , ils n’existeraient pas ! Leur intérêt aux yeux de l’administration est d’imposer’ d’abord une nouvelle organisation du temps et de l’espace’, c’est à dire tout un ensemble de mesures contre lesquelles nous luttons par ailleurs. . L’ administration d’ailleurs utilise déjà ces heures (ainsi que celles d’ECJS) comme variable d’ajustement).

D’autres raisons.
- A moins de penser que l’enseignement est plus efficace quand l’enseignant est moins présent avec l’élève , il faut réintégrer les heures dans le temps d’enseignement .
- Les TPE introduisent de nouvelles inégalités , certains élèves bénéficiant chez eux de matériel informatique ou d’aide des parents.
- Au moment de l’évaluation la part du travail personnel restera difficile à apprécier .



Que l’on en finisse avec l’équation, partisans des TPE égale réforme pédagogique . C’est parce que nous prenons celle ci au sérieux que nous pensons que les TPE ne sont qu’une poudre aux yeux pour parents et media .


Comme l’art militaire , le seul progrès en matière de TPE est leur disparition .

Pour cet ensemble de raisons , la section syndicale du SNES du lycée Jules Supervielle et du collège Tristan Derème d’Oloron Sainte Marie souhaite donc que le SNES lance à l’échelon national une consultation sur la maintien ou non l’an prochain des TPE (et par la même occasion de l’ECJS) .


1 Les guillemets sont extraits du document ministériel





















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